Septembre 2017, moi-même auteur me voilà en immersion dans la rentrée littéraire. Pour mieux comprendre son univers, quelle meilleure idée que de rencontrer deux écrivains de talent : Arnaud Le Guern ( auteur d’Adieu aux espadrilles ou encore d’une biographie sur le grand Paul Gegauff et éditeur ) et Philippe Lacoche ( auteur notamment du Chemin des fugues retenu pour le prix Renaudot et le prix Interallié 2017 )
Vous êtes tous les deux écrivains et ainsi artistes, cela veux dire quoi pour vous créer ?
Arnaud Le Guern : Ecrire, c’est avant tout raconter une histoire, esquisser une atmosphère. Ça commence parfois par une phrase, un titre ou une silhouette, qui deviendra un personnage … Puis des motifs se rajoutent, s’ajustent. Jusqu’au point final.
Philippe Lacoche : Créer, en matière d’écriture, veut dire pour moi laisser une trace.
À quel âge vous avez découvert votre passion pour l’écriture ?
ALG : Je ne sais pas s’il faut parler de passion pour l’écriture. Je préfère la réponse de Beckett, à la question « Pourquoi écrivez-vous ? » : « Bon qu’à ça … » J’ai lu, enfant et adolescent, avec modération, puis de plus en plus. Et j’ai eu envie à mon tour de poser mes mots sur une feuille blanche. Aujourd’hui, j’ai l’impression, moi aussi, de n’être bon que à ça.
PL : Très tôt. C’est banal mais déjà à 8 ans, j’écrivais de petits poèmes sans importance. Puis, je m’y suis mis de façon plus sérieuse après avoir beaucoup lu.
Trouvez-vous, quelques fois, que la création et votre rôle d’auteur influe sur votre manière de vivre et d’appréhender le quotidien ? En lisant » Adieu aux espadrilles » d’Arnaud ou » Le chemin des fugues » de Philippe, l’ode à la flânerie ou la défiance face à la nouvelle technologie, j’ai eu l’impression de cette corrélation très intime entre votre façon de créer et votre manière de savourer ou dénoncer les petites choses de votre quotidien…
ALG : J’écris tel que je suis, en bien et/ou en mal … Ma vie de patachon et c’est ma manière de mettre ma peau sur la table. J’avoue n’avoir aucune imagination. Je peux le regretter d’ailleurs. Mais je suis incapable d’évoquer dans un texte ce que je ne connais ni de près ni de loin. Donc je ramène tout à mes obsessions. Je n’en fais ainsi, dans mes livres, qu’à ma fête et qu’à ma mélancolie.
PL : Je crois que ma vie influence mon écriture; parfois, mais plus rarement, mon écriture influence ma vie. Arnaud et moi, sommes en connivence depuis des années. Il est plus que mon éditeur : il est parfois mon confident; il est toujours mon frère de plume. En un mot : il est mon ami. J’ai une confiance totale en lui tant sur le plan humain que littéraire. C’est très agréable.
Pour vos écrits, vous êtes adeptes de la bonne vielle plume ou du mac dernier cri ?
ALG : Peu importe le stylo, pourvu que l’ivresse soit là, non ? A feutre, à billes ou à papier, j’écris avec ce que j’ai sous la main et je remplis de nombreux carnets, cahiers. Puis vient le temps du fichier Word … et le livre, jour après jour, prend forme.
PL : J’écris à l’ordinateur car j’ai dû (malheureusement!) m’y habituer dans le cadre de mon métier de journaliste. Je suis nostalgique de la machine à écrire, de son crépitement. Et des articles qu’on écrivait à la main sur les zincs des comptoirs des bistrots; on les dictait ensuite aux sténos. Cette époque me manque; je l’ai connue. J’en parle dans mon sacré roman! Pierre Chaunier et moi, là-dessus (car on se dispute beaucoup) sommes assez d’accord.
Y a t’il un sens à être oldschool dans le choix de nos outils de création lorsque tout tend à faciliter notre travail ?
ALG : Etre oldschool, c’est surtout garder à l’esprit un certain art de vivre, une certaine idée de la dolce vita. Se souvenir de Maurice Ronet et Paul Gégauff, de Sonia Petrovna dans « La prima notte di quiete », et ne jamais oublier les mots de Paul-Jean Toulet : prendre garde, toujours, à la douceur des choses. C’est à la fois une ligne de vie et une ligne d’inconduite, « sur les rebord des tombes » évidemment.
PL : Je ne suis pas oldschool; je tente simplement d’être honnête avec moi-même. Les nouvelles technologies me gavent grave! La modernité m’ennuie au plus haut point (elle est ridicule; je hais la modernité). L’époque et son côté ultralibéral me dégoûtent. Je finirai dans une chaumière du Vaugandy. Arnaud viendra me voir; nous boirons du vin bio et de l’alcool de pissenlit en regardant brouter les aurochs. Et on admirera les courbes duveteuses des filles du Vaugandy. On lira du Modiano, du Vailland, du Cendrars, du Toulet, du Corbière, du Calet, du Bove, etc. On écoutera les Kinks et les Animals en boucle. On sera heureux, chère Margaux, heureux. Pas modernes, mais heureux.
Quel est l’auteur qui vous a le plus influencé dans votre parcours littéraire ? Pourquoi ?
ALG : Adolescent, ma découverte des « Contes de la folie ordinaire » de Charles Bukowki a été importante. On pouvait écrire ainsi, en liberté, mettre sa vie en mots, évoquer les filles et les cuites avec humour et poésie, avec également une profonde mélancolie. Et puis Bukowski, c’était aussi le scénariste de « Barfly », avec Mickey Rourke et Faye Dunaway. Tout ce qui me plaisait, me plaît encore.
PL : Patrick Modiano. Sa mélancolie m’émeut. Sa réaction par rapport à cette saloperie de temps qui fuit, aussi.
Si vous deviez choisir un seul mot cela serait lequel ?
AGL : Flânerie. Ou dilettante. Deux mots, donc.
PL : Femme
Aujourd’hui avez-vous des projets littéraires en cours ? Pouvez-vous nous en toucher quelques mots ?
AGL : Editeur, je passe beaucoup de temps à lire les textes de mes camarades de plume – dont « Le chemin des fugues » de Philippe ! – mais, si tout se passe bien, j’aurai fini mon troisième roman à la fin de l’année. Rendez-vous, espérons-le, en 2018 …
PL : Je sortirai, au printemps prochain, un livre en compagnie de l’écrivain Sylvie Payet et le jeune photographe Clément Foucart sur la baie de Somme de nuit (La baie fait un Somme, aux éditions Cadastre8Zéro).
Margaux Chikaoui