Rencontre avec un jeune gendarme adjoint volontaire
Drice*, à peine 21 ans, est déjà en faction depuis quelques mois dans une brigade en Normandie. Malgré les menaces qui pèsent sur la profession, ce jeune homme n’a jamais hésité à embrasser cette carrière de militaire. Il se confie sur son métier hors norme afin de faire connaître la réalité du quotidien d’un gendarme adjoint volontaire (GAV).
« Quand on devient gendarme, tout change ! »
1/ Cette envie de devenir gendarme, était-ce un projet depuis votre plus jeune âge ?
En effet, depuis que je suis tout petit, je ne rêve que de ça. Je n’ai jamais envisagé une autre profession, c’est donc une vocation. Dans un sens, c’est tant mieux car c’est un métier très difficile psychologiquement et il faut savoir faire des concessions telles que travailler tard ou travailler la nuit sans rémunération supplémentaire. Il faut se faire à l’idée qu’on ne sait pas vraiment où on atterrit en sortie d’école, pour avoir le plus de choix possible, il faut terminer dans le haut du classement à l’issue de la formation. Ça nous apprend le fait qu’un Gendarme risque de bouger n’importe où au long de sa carrière. Il semble donc important d’aimer réellement ce que l’on fait et d’avoir ce métier dans la peau.
2/ La sélection est ouverte à tous les niveaux, de sans diplôme à bac +5, on peut également faire de la réserve en étant civil: quel a été votre parcours pour y entrer ?
Il y a plusieurs niveaux dans la gendarmerie : la réserve en premier lieu. Dans ce cadre, tout le monde peut faire les tests et une courte formation. C’est un statut particulier qui permet à des civils d’utiliser leur temps libre et de mettre en avant leur dévotion pour venir assister les collègues professionnels (on est appelé quelques jours par mois). Mais, comme tu le dis, la réserve peut être un tremplin pour devenir gendarme de carrière en passant le concours de sous-officier de gendarmerie interne et ce, sans condition de diplôme . Un moyen efficace d’entrer dans la profession pour des personnes qui ont plus de 26 ans car elles n’ont plus accès au concours de gendarme adjoint volontaire. Ensuite, nous avons justement le GAV, c’est le premier « niveau » de gendarme qui peut se référencer à un soldat de base dans l’armée. On peut passer les tests dès 17 ans, donc, sans diplôme également. Cependant, pour faire son entrée officielle dans une brigade, la majorité est obligatoire notamment à cause des règles qui régissent le port d’arme. Puis, nous avons le grade de sous-officier qui, en externe, est uniquement accessible par concours avec le bac en poche. Pour devenir officier, un bac +2 est demandé.
Moi, j’ai passé un bac électronique avec comme objectif de tenter par la suite le concours de sous-officier. Malheureusement, ma préparation physique n’était pas encore au niveau des exigences du concours et je me suis planté. Pour relativiser cet échec, je me suis présenté aux tests de GAV que j’ai obtenu. J’ai fait mes 3 mois d’école à Tulle avant d’intégrer ma brigade en janvier 2018.
3/ La gendarmerie couvre un panel assez large de métiers ; as-tu une envie par la suite de te spécialiser ? Les évolutions de carrière sont-elles envisageables ?
En tant que gendarme adjoint, nous pouvons nous orienter vers des spécialités sans pour autant en choisir une en tant que telle. Je vais passer une seconde fois le concours de sous-officier en octobre, et je verrai à ce moment là dans quel corps j’irai : gendarmerie mobile (spécialisée dans le maintien ou le rétablissement de l’ordre, source wikipédia), gendarmerie départementale (dirige des enquêtes judiciaires ou y participe selon ses qualifications, il est en charge de la surveillance de son secteur, de la sécurité routière, de l’accueil du public au bureau, source lagendarmerecrute.fr), de soutien… Nous avons effectivement un large choix de métiers, que ce soit plongeur, maître chien, motard ou pilote que l’on voit si souvent dans les reportages mais aussi armurier, cuisinier, gestionnaire, formateur, … Il y en aura pour tous les goûts.
4/ Depuis 4 mois, à quoi ressemble tes journées ? En quoi consistent les missions régulières du gendarme adjoint ?
Généralement, nous avons des heures de bureau qui sont prédéfinies : 8h – 12h et 14h-18h. Ces horaires peuvent refermer des tas d’activités différentes en fonction de l’affluence du jour. Mais attention, il arrive assez régulièrement de faire des heures supp’ et elles ne sont pas payées !! D’où l’intérêt d’aimer ce que l’on fait. Aujourd’hui, je suis en permission donc complètement « off » sauf cas extrême. Par contre, lorsque je suis d’astreinte, c’est-à-dire que je suis chez moi mais que l’on peut m’appeler à n’importe quelle heure pour une intervention, je suis obligé de rester à la brigade. Je ne peux donc pas revenir sur Paris pour mon week-end.
Les missions sont multiples même si on retrouve souvent les mêmes : garde à vue, patrouille, intervention, contrôle routier… Ce sont les situations qui changent ! Cela ne se passe jamais de la même façon. C’est là que notre métier perd tout aspect de routine et le rend si excitant.
5/ Comment se passe la vie dans une brigade ? C’est un univers très particulier et un mode de vie que l’on imagine assurément sédentaire, non ? N’est-ce pas un peu difficile d’être 24h/24h sur son lieu de travail notamment pour un jeune qui a aussi besoin de se « créer » personnellement ?
Force est de constater que c’est un mode de vie très différent de tout ce que l’on a pu connaître jusqu’ici. De toute manière, quand on devient gendarme, tout change ! Notre manière de penser, de vivre, on s’ouvre au collectif et on met son intimité de côté. De vivre dans une caserne, c’est un changement de vie. Le soir, après avoir terminé le boulot, on traverse la cour et on est dans notre logement. Nos voisins… sont nos collègues. On peut être coupé du monde dans ce sens mais le reste de la journée on est confronté en permanence à la population. En fin de compte, je bouge davantage qu’un salarié lambda faisant l’interminable trajet ; métro, boulot, dodo. En réalité, contrairement à ce que je pensais, ce n’est pas aussi désagréable ! Après, il est évident que l’ambiance du groupe y est pour beaucoup. L’entente est primordiale. Alors oui, on n’est jamais vraiment seul, c’est un inconvénient mais c’est une immense force à la fois !
6/ Le statut de militaire confère d’énormes enjeux et responsabilités, est-ce qu’à 20 ans on a la carrure et la maturité nécessaires ? Sur le terrain, ta jeunesse peut-elle être une « faiblesse » ? Dans le sens où le regard du public doit être différent et certains vont même penser pouvoir défier ton autorité plus facilement, le ressens-tu ?
Je sais que ça m’a déjà posé des problèmes avec des gens qui se sentent supérieurs. Ma carrure peut également me jouer des tours, je suis mince et parfois les gens se disent : « lui, le petit jeune, il est plus mince et plus petit que moi, il croit qu’il va faire quoi que ce soit». Dans ces cas là, ce sont souvent des personnes en état d’ébriété, il faut parler calmement et les laisser s’exciter tout seul. Il me semble important de rappeler que cela reste des exceptions, les gens sont rarement agressifs physiquement. Et puis, on est très bien équipé (bâton, taser, pistolet, lacrymogène), même si les gens ne nous respectent pas forcément, il reste malgré tout une certaine crainte de l’uniforme.
« En 4 mois seulement, j’ai été confronté à la mort »
7/ Avec tous les évènements actuels, la profession est de plus en plus menacée : ta ferveur de servir notre pays reste-t-elle intacte ?
Je dirais même qu’elle augmente en conséquence. Je me suis toujours dit que s’il y avait un tel évènement qui se passait, je ne pourrais pas rester les bras croisés à ne rien faire. J’ai besoin d’aider, c’est intrinsèque à ma personne. En tant que gendarme, on est armé et formé (PSC1 mais aussi formation interne à la gendarmerie) pour réagir efficacement à cette menace. Pour mon cas, c’est là que je me sens le plus utile et non en civil.
8/ On le voit dans les films, les séries ainsi que les reportages, cette autorité supérieure (garde à vous, à vos ordres) qui peut sembler presque archaïque par rapport à nos sociétés actuelles, n’est-elle pas difficile à gérer surtout à ton âge ?
On doit se conformer aux règles militaires puisque nous sommes militaires avant d’être gendarmes. Le respect se traduit ainsi. Il est incontestable de dire que c’est une valeur difficile à inculquer puisqu’au départ, personne n’a connu pareil style de vie. C’est clair qu’obéir à des ordres au quotidien peut sembler pesant mais on s’y fait. L’avantage d’être en brigade, c’est que quand l’ambiance est bonne, on a moins de pression à ce niveau. On reste évidemment respectueux de l’éthique mais on n’est pas constamment au garde à vous. Avec les collègues qui sont plus âgés, on peut se tutoyer, on rigole et on se vanne sans problème ! On reste humains après tout.
9/ Question logique mais non pas moins intéressante, que recherches-tu dans ce métier ? Et surtout, pourquoi la gendarmerie plutôt que la police ?
C’est l’inattendu. A l’école, on nous apprend la résilience. Le côté militaire, il faut continuellement s’adapter et trouver les solutions adéquates. Cet univers dépasse complètement le civil et c’est ce qui est super stimulant.
Je n’avais pas envie de travailler en ville qui reste principalement le territoire de la police parce que les interventions urbaines sont très lourdes (émotionnellement parlant). Les policiers sont débordés et les tâches se ressemblent trop à mon goût. Certes c’est le cas avec la gendarmerie aussi mais le travail est plus aéré (mélange de terrain, rencontre population). D’ailleurs, la population n’est pas la-même et on ressent souvent que nous sommes d’utilité publique pour certaines personnes. De plus, l’aspect militaire qui induit une certaine discipline, une rigueur dans l’exemplarité me fait apprécier d’appartenir à une des plus anciennes institutions françaises.
10/ En évoquant la possibilité d’une interview avec toi, le devoir de réserve est très vite venu sur la table : quels sont les sujets que l’on ne peut pas aborder ?
Le meilleur exemple reste les questions d’ordre politique. Si on me demande mon avis sur le gouvernement français par exemple, c’est mon devoir de ne pas m’exprimer. Pour ma part, en tant qu’individu, je ne partage déjà pas mon opinion donc je ne risque pas de le faire dans le cadre de cet exercice.
11/ En prouvant une si forte conviction dans ton engagement, tu peux être un exemple pour la jeunesse qui se cherche. A ce propos, de nombreuses pubs circulent pour motiver l’enrôlement dans les armées car cela peut être un moyen lorsque l’on n’a pas de diplôme de s’en sortir : toi personnellement, que dirais-tu à un jeune qui hésite à se lancer ?
Je ne peux parler que pour ceux qui hésitent vraiment. Les autres, si c’est une envie de passage, ça me semble difficile. Je le répète mais il faut s’attendre à un métier très difficile psychologiquement. En 4 mois seulement, j’ai déjà été confronté à la mort (découverte d’un cadavre). Porter une arme, n’est pas quelque chose d’anodin, cela requiert une discipline rigoureuse. Alors, il est vrai que le statut de gendarme (sous-officier) permet d’accéder à une certaine sécurité sociale : 1800 euros de salaire et un logement attitré mais c’est un ensemble et il faut en analyser tous les aspects. Nous sommes sujets à des contrôles continus (CCPM pour contrôle continu physique militaire) qui nous demandent d’être toujours au top de notre forme. Notre métier est compliqué par ses horaires, il faut aimer la nuit enfin travailler la nuit, ce qui est tout autre. Nous faisons souvent des burn-out, des coup de blues et c’est à prendre en compte. Le physique est important mais j’ai envie de dire que le mental l’est d’autant plus. Il faut savoir que l’on veut faire ça, je ne peux pas le dire autrement. Les statistiques ne mentent pas : à l’école des GAV, c’est au moins 50% de personnes qui abandonnent. D’autres quittent l’institution dès les premiers mois de brigade. La réalité du terrain est quelque chose auquel on peut difficilement se préparer.
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*Nom d’emprunt