93 Vies Page 4

Serrer au maximum. Allongée sur le ventre ou sur le dos, je serre au maximum. Je contracte mon périnée et j’attends que ça passe. Je ferme les yeux et je retiens ma respiration. Le nez dans mon anus et une langue qui fouille mon intérieur. Alors je serre. Ça me donne l’impression de résister. Ses mains malaxent mes fesses et mon dos en faisant de grands cercles. Ses doigts et sa langue touchent avec vigueur mon clitoris puis pénètrent mon corps. Touchent et embrassent une poitrine que je n’ai pas. Je n’ai que dix ans, moi.

Des souvenirs de sensations que le cerveau occulte par instinct de survie mais qui reviennent chaque fois qu’un homme me touche. C’est un sale pédophile. Un prédateur qui se délecte de sa victime. Cette victime qui n’exprime aucun sentiment, aucun plaisir. Il sait que je ne dors pas. Je suis comme un misérable moucheron pris dans la toile d’une araignée. Rien ne sert de crier ni de se débattre car personne ne me viendra en aide. Je suis comme pétrifiée, et j’attends chaque jour que Dieu fait, que la nuit passe. Chaque fois que j’y repense, j’ai la haine. J’ai envie de tout casser.

Non pas parce que ça m’est arrivé, mais parce qu’un enfant, quelque part dans le monde, subit ces mêmes actes dégueulasses de la part d’un adulte qui jouit de son ascendance d’adulte pour victimiser un enfant. Certains se débattent, certains crient, d’autres pleurent et d’autres attendent que ça passe. Mais le résultat reste le même. On n’en ressort jamais indemne.

La haine prend une place importante si ce n’est la plus grande. La haine des autres et la haine envers soi-même. La honte, la culpabilité de n’être pas assez fort pour s’ôter soi-même la vie plutôt que de revivre inlassablement le film jusqu’à la tombe sans que l’on ait rien demandé. C’est comme un instrument de torture dont la mort est la seule issue possible.

Et ce bourreau sait que cela vous hante et vous hantera à vie. Je ne pense pas qu’il cherche à uniquement se procurer du plaisir. Il cherche à ce que l’enfant de 1 mois à 15 ans éprouve du plaisir ce qui est déjà une chose complètement horrible mais de plus il sait que ce cauchemar le suivra sa vie entière. Le pédophile est le diable incarné. Il est. Il cherche à détruire la race humaine. Une phrase me revient lors du procès, comme la lame aiguisée d’un sabre qui m’aurait tranchée en deux :

– On leur a refilé le fardeau.

Manela Vesaphong
Manela Vesaphong
Photojournaliste, écrivaine et créatrice de mode.

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