Djamel Mazi : « Je vois de plus en plus de diversité dans les rédactions »

Journaliste, passé par M6 ou encore I-Tele, Djamel Mazi s’est imposé comme l’un des visages de la chaîne d’infos en continu. Passage en revue de son parcours, et de sa vision du métier.

Ces dernières semaines, I-Tele a connu une grève. Comment l’avez-vous vécue ?

C’était un geste très fort. Il s’agissait de la solution qui paraissait la plus extrême au final. Les salariés ne voulaient pas arriver à un tel rapport de force. Il faut dire que la plupart des contrats arrivaient à terme, et que la non-reconduction de la plupart des CDD a été vécue comme quelque chose d’assez brutal. La grève a été votée a une très large majorité puis reconduite avant finalement de s’arrêter.

Plus globalement, comment voyez vous la multiplication des chaînes d’infos ?

Ces nombreuses chaînes d’infos, à l’image des nombreux magazines ou autres supports, ça laisse augurer de la bonne santé de la démocratie selon moi. On va se retrouver avec quatre chaînes d’infos à la rentrée, c’est beaucoup, mais je comprend aussi la démarche du service public, qui a envie d’avoir sa propre chaîne d’informations. Au niveau des audiences, et en France comme ailleurs, les chaînes d’infos réunissent en moyenne 3% de part de marché. BFM fait 2 points d’audience, ITELE autour de 1 point et LCI 0.2. Donc effectivement, on peut se demander comment cette nouvelle chaîne trouvera son public. L’autre aspect, c’est que la ligne éditoriale sera différente. Il y aura beaucoup de décryptage d’après ce que je sais, et ça sera très axé sur le numérique. Je vois ces chaînes d’infos d’un bon oeil, d’un point de vue de journaliste. Il y aura aussi plus d’employeur, sur un marché qui bouge beaucoup ces derniers temps. Les téléspectateurs auront plus de choix.

BFM, ITELE, LCI et maintenant la chaîne d’info de France Télévision. Le téléspectateur y gagne-t-il vraiment en diversité de traitement de l’information?

Nous verrons pour la nouvelle chaîne du service public. Je ne peux pas me prononcer tant que le résultat n’est pas à l’antenne. D’après ce que j’ai compris, il y aura du décryptage et pas de « duplex-prétexte ». L’idée ne sera pas de faire d’un non-événement un événement. Il y aura peut-être ceux qui seront friands de directs sur le terrain sur des choses aussi légères que dramatiques, et les autres. Au final, le verdict sera dans la nouvelle répartition des audiences de ces différentes chaînes.

Toujours par rapport au métier de journaliste, un papier de Puremedias est sorti concernant l’attentat en Irak. 200 morts traités en 13 secondes au journal de France 2. Comment se gère la hiérarchisation de l’information ?

Ce ne sont pas des choix éditoriaux évidents. A titre personnel, un mort en France ou à Bagdad, c’est la même chose. Après il y a cette fameuse règle du mort au kilomètre, qui fait qu’un événement plus proche géographiquement est supposé être plus concernant. Au fur et à mesure, cette règle devient de plus en plus désuète parce que les gens sont de plus en connectés, et ont de l’information en temps réel sur les réseaux sociaux. Il faut aussi se demander pourquoi une chaîne décide de ne passer que quelques secondes sur une information précise, ça m’ait déjà arrivé, et c’est terriblement frustrant. Ça peut aussi être parce qu’on n’a pas la matière, on n’a pas les images, ou pas de correspondant sur place. Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en compte, on ne peut pas simplement se contenter de critiquer.

djamel mazi maitre gims

Le duplex, c’est aussi un aspect de ce métier. Récemment, vous couvriez un direct sur une opération anti-terroriste, et vous avez été interrompu par des jeunes qui faisaient la promo … de Maître Gims. Plus généralement, comment vous gérez l’antenne lors des directs sur le terrain ?

Je fais abstraction de ce qui se passe, il faut garder son sang-froid. C’est forcément frustrant parce qu’on ne peut pas aller au bout des choses. Dans ce cas précis, ce qui est terrible, c’est le décalage entre l’image et l’actualité. Hors-antenne, j’ai parlé avec ces jeunes qui ont interrompu le duplex pour leur expliquer comment ça allait se passer, comment les choses allaient être perçues. J’ai un peu d’expérience concernant le direct, je ne me laisse pas avoir par ce genre choses. D’autant plus que l’actualité de ce jour était suffisamment grave pour faire abstraction de cette interruption.
Un autre aspect du métier de journaliste : les réseaux sociaux, comment est-ce que vous les gérez ? On a vu que vous vous étiez quelque peu engagé concernant « l’Affaire Black M ».

Twitter est vraiment un outil de travail. Ça me permet d’avoir accès à de l’information très rapidement sans même passer par une agence. Il y a aussi des comptes d’anonymes qui assistent à des événements en direct, et tout ça nous permet de prendre la température. En tant que journaliste, c’est à nous de faire le job et de vérifier ce qui se passe en recoupant nos infos. Twitter me permet aussi de donner une info que je ne peux pas donner tout de suite à l’antenne. Mon compte reste factuel, je fais mon job de journaliste et je suis payé pour ça.

Après, ça m’arrive de réagir à des situations qui me paraissent anormale, c’était le cas avec l’affaire Black M. Au-delà des convictions politiques ou religieuses, c’était un point de vue purement républicain en fait. C’était une situation qui m’apparaissait comme extraordinaire dans le mauvais sens du terme.

Il y a beaucoup de commentaires qui attirent l’attention sur les réseaux sociaux et qui font du bruit, ce sont notamment ceux de ce que j’appelle les « haters ». Ceux qui passent leur temps à dénigrer. Ils ont réussi à trouver un média pour s’exprimer librement. Ce qui se passe sur Twittter n’est pas du tout représentatif de l’ensemble de la communauté Française.

Plus personnellement maintenant. Vous étiez assez engagé sur la ville d’Argenteuil, d’ou vous venez. Quel était vôtre rôle dans l’association BBR ( Bleu,Blanc,Rouge) ?

A l’époque, c’était à Argentueil en 2005. J’ai fait toute ma scolarité là-bas, j’ai grandi là-bas. Le 11 octobre 2005, il y avait le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui était venu pour une visite surprise. Il s’est promené sur la dalle, il est arrivé en bas d’une tour et c’était au moment de ses propos sur  » la racaille ».  Ça ne m’a clairement pas plu et à partir de ça, on a eu une discussion un peu houleuse. Un membre de son cabinet de l’époque avait relevé mes coordonnées pour qu’on puisse se rencontrer, et lui faire des propositions.

A l’époque j’étais jeune étudiant en droit à Cergy, et j’ai trouvé la proposition séduisante. On a pu lui faire quelques propositions relevant des problèmes qu’on retrouve dans les quartiers. On a aussi fait de nombreuses rencontres, on a organisé des tables rondes… Cette expérience a aidé du monde, ça a aussi permis à certaines personnes detrouver du travail.

J’ai participé à ces états généraux des banlieues et pas mal de tables rondes avec des invités de marques. A un moment donné, le ministre Sarkozy de l’époque avait une double casquette : ministre donc, mais aussi candidat à la présidentielle. Dès lors, il a voulu prendre à son compte les travaux de l’association. A partir de ce moment j’ai pris mes distances parce que ça devenait un peu trop politique à mon goût. J’ai aussi voulu garder ma pleine indépendance, et échapper à la récupération politique.

Récemment, vous avez participé à la dictée des cités : pourquoi est-ce important pour vous d’y prendre part ?

Pour moi, c’est indispensable de bien savoir écrire, parler et s’exprimer. Le problème c’est que dans nos quartiers il y a pas mal de lacunes. Dans ces quartiers il y a un bagage culturel différent qui est aussi une force. A titre personnel, je suis très fier d’être binational, d’avoir une culture algérienne que m’ont transmise mes parents. Nos parents sont arrivés ici en ne parlant pas forcément très bien le Français. On n’a pas forcément le même bagage culturel que les personnes qui passent les concours pour les grandes écoles ou autres. Ça, pour le coup, c’est plus un handicap. Quand on m’a proposé de participer à « La dictée des cités » , je n’ai pas hésité une seule seconde. C’est aussi l’occasion de valoriser les jeunes,de les considérer d’une certaine manière, et de faire passer un message important.

Le récent rapport du CSA montre qu’il reste beaucoup à faire en terme de représentation de « la diversité » à la télévision. Quel est votre avis sur cette question ?

C’est quelque chose qui se fera dans le temps. Mes parents sont nés en Algérie avant d’arriver en France. Pour eux, c’était difficilement imaginable que leur fils devienne journaliste. C’est un parcours déjà conséquent qui a été fait au fil des années. Quand on parle avec les patrons de chaînes, ils disent que la diversité c’est important pour eux mais qu’ils ont du mal à trouver les candidats. Il y a une barrière sociale aussi pour que la télévision soit le miroir de la société. Je reste optimiste sur cette question, ça va bientôt faire dix ans que je travaille dans ce milieu et je vois de plus en plus de diversité, ça évolue dans les rédactions. Il va falloir que tout ça passe aussi par des actions concrètes, peut-être de la part des politiques.

Que gardez-vous de votre passage aux magazines d’informations de M6 ?

Ça m’a appris les bases du métier. J’étais aux magazines d’informations, au news, sur le terrain. Ça m’a permis d’avoir des réflexes, des idées, des sources, et un réseau international. On apprend à préparer une émission, mais aussi à fabriquer un reportage. Pendant deux ans, je m’occupais des plateaux de Bernard de la Villardière pour ses émissions, ses fiches. J’ai aussi calé ses tournages à l’étranger, ce qui m’a permis d’avoir un réseau international. J’étais vraiment chargé de préparer l’émission mais toujours en collaboration avec le présentateur.

Vous avez obtenu le Grand Prix jeune journaliste du club de la presse du Nord-Pas-de-Calais en 2014. Que représente votre expérience en région ?

Ça a été une expérience extrêmement riche. J’étais à Lille, sur une zone de couverture très large : le Nord-Pas-de Calais, la Somme, les Ardennes, La Picardie, la Belgique et les Pays-Bas. A l’époque, j’étais à la fois caméraman, rédacteur et je montais mon sujet. Le travail seul rend très vite autonome, on trouve des réflexes et c’est souvent le système de la débrouille. Il m’est arrivé de frapper chez l’habitant pour trouver un moyen d’envoyer mes images par internet, c’est un travail de fourmi. J’ai pas mal épluché la presse locale pour essayer de trouver des petites histoires, c’est aussi un aspect du métier de ne pas toujours faire que de l’info trop lourde.

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Comments

  1. Bonjour,
    « Après il y a cette fameuse règle du mort au kilomètre, qui fait qu’un événement plus proche géographiquement est supposé être plus concernant. »

    Distance France – Irak : 4 864 km
    Distance France – Syrie : 4055 km
    Distance France – Libye : 2579 km
    Distance France – Yemen : 5465 km
    Distance France – Nigéria : 4175 km
    Distance France – Gaza : 3204 km
    Distance France – Turquie : 2798 km

    Par contre …

    Distance France – États-Unis : 7665 km

    Différence entre les États-Unis et les autres pays cités ? C’est que les « autres », ne sont pas blanc.

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