Interview de Valérie Auslender

 

Interview de Valérie Auslender, auteur d’ Omerta à l’hôpital

 

Valérie Auslender, médecin généraliste attachée au Pôle Santé de Sciences Po, publie Omerta à l’hôpital (Editions Michalon), un recueil de témoignages d’étudiants en professions de santé, suivi de réflexions d’experts.

Dans votre ouvrage Omerta à l’hôpital, vous avez réussi à réunir plus d’une centaine de témoignages d’étudiants en professions de santé. N’avez-vous pas eu peur d’être confrontée à des étudiants silencieux et enfermés dans l’autocensure, du fait de pressions exercées par la hiérarchie ?

Je n’ai pas été surprise de constater que la plupart des étudiants ayant témoigné ont souhaité conserver leur anonymat « par peur des représailles ». Lorsque je leur ai demandé leurs autorisations pour que leurs récits paraissent dans un livre édité, une seule étudiante – sur cent-trente – s’est rétractée. Elle avait été victime d’agressions sexuelles par son chef – censé la former – et a eu peur d’être reconnue. Les autres, ont voulu faire entendre leurs voix, dénoncer ce qu’ils subissaient et parfois même, sans se cacher. Je repense à une étudiante écrivant à la fin de son email : « Vous pouvez laisser mon prénom et mon nom de famille, je ne me tairais plus ». Alors que certains témoins m’avaient dévoilé le nom de leur agresseur ou l’hôpital où ils ont suivi leurs formations, j’ai volontairement choisi de rendre l’ensemble des témoignages anonyme dans le but de dresser un état des lieux de ces maltraitances sur le territoire français, et non pas de dénoncer les agresseurs…, contre-productif à mon sens.

Comment est né le projet de cet ouvrage ?

Lorsque je repense à mes études de médecine, il ne me semble pas être passée dans un stage hospitalier où je n’ai pas été témoin de violences envers certains étudiants ou certains patients. Cette violence « ordinaire » – dans un lieu où l’on devrait s’attendre normalement, plus que dans n’importe quel autre espace public, à de la bienveillance et de l’empathie – m’a totalement scandalisée pendant mes neuf ans de formation. Je n’ai jamais compris la vertu pédagogique de ces humiliations sur les étudiants provenant de la hiérarchie, et faites souvent devant les patients. Les chiffres révélés par l’enquête de 2013 que j’ai réalisée auprès de 1472 étudiants en médecine dans le cadre de ma thèse m’a poussée à lancer cet appel à témoins en août 2015.

Souvent, dans les consciences, études de médecine riment avec bizutage et exigences élevées.

Votre recueil de témoignages le confirme. Existerait-il une culture de l’humiliation dans le secteur des études en professions de santé ?

Les experts que j’ai interrogés évoquent en effet ce culte de l’humiliation et surtout la banalisation de ces violences. La loi du silence qui règne au sein des hôpitaux ne fait qu’aggraver ce phénomène. Je tiens à souligner que les témoignages que j’ai recueillis vont au-delà d’un simple « bizutage ». Il s’agit là de maltraitances infligées par la hiérarchie à des étudiants, du simple fait de leurs statuts d’étudiants. On parle ici de violences psychologiques, de harcèlement moral, de violences physiques et sexuelles, de propos sexistes ou racistes, de négation des droits fondamentaux comme l’interdiction d’aller aux toilettes, de s’asseoir, de manger ou même de parler. Ces violences ont des conséquences dramatiques sur la santé de ces étudiants et indirectement sur la qualité des soins procurés aux patients.

Y auraient-ils des profils types d’agresseurs ?

Nous ne pouvons pas parler de « profil type ». Il y a, certes, des professionnels de santé aux personnalités sadiques ou perverses, qui fort heureusement, restent rares. Les maltraitances se produisent surtout dans les services où les conditions de travail sont le plus dégradées – par manque de personnels, surcharge de travail, manque de moyens, mauvaise ambiance dans le service, souffrance des soignants, etc. – et où les soignants en deviennent alors parfois maltraitants. Cela n’excuse en rien les faits qui leurs sont reprochés et ne mérite aucunement de maintenir une totale impunité, comme c’est encore le cas aujourd’hui.

En tant que patient, nous avons besoin de faire confiance et de se sentir rassurer par le personnel hospitalier. Certains des témoignages que vous avez recueilli nous alarme. Comment des étudiants constamment remis en question durant leur formation peuvent-ils ne pas perdre leurs moyens au moment de mettre en œuvre les soins et opérations ?

Les étudiants victimes cherchent à éviter à tout prix de nouvelles maltraitances et passent la plupart de leur temps à élaborer des stratégies de défense pour échapper à de nouvelles violences. Ils en oublient leurs objectifs premiers, ceux de se former et de soigner leurs patients, au risque d’adopter de mauvaises pratiques, voire même de faire des erreurs médicales sur les patients. Quelques témoins m’ont par exemple confié avoir fait des erreurs de dosage par manque de concentration ou à cause du stress permanent causé par le harcèlement et l’acharnement de leurs agresseurs.

Pouvons-nous avoir confiance dans le personnel hospitalier lorsque les « bizutages » poussent même certains au viol sur une patiente hospitalisée pour une IVG ?

Les pouvoirs publics et l’institution hospitalière doivent entendre les revendications des soignants en souffrance qui ont perdu le sens premier de leurs professions – alors qu’ils sont pleinement dévoués à leurs patients lorsqu’ils exercent dans des conditions convenables et passionnés de leurs métiers. Ceux qui enfreignent la loi ne doivent pas pour autant rester impunis. Un toucher vaginal sans consentement constitue un viol selon la définition du code Pénal. C’est intolérable et les agresseurs doivent être condamnés.

À la fin de votre enquête, vous proposez avec des experts, des pistes de réflexion afin d’améliorer les conditions des étudiants en médecine. Laquelle de ces propositions vous semble la plus urgente ?

La priorité est de briser la loi du silence en dénonçant systématiquement tous les faits de violences. Cela permettra de rompre l’isolement des étudiants victimes. N’importe qui – étudiants mais aussi patients ou professionnels de santé – peut signaler un fait de violences ou de maltraitances en téléchargeant une fiche de signalement auprès de l’Observatoire nationale des violences en milieu de santé (ONVS), sur le site du Ministère de la santé. A ce jour, cette fiche n’est pas, à mon sens, adaptée aux étudiants victimes de maltraitances de la part de leur hiérarchie, mais ils peuvent tout de même utiliser ce moyen pour dénoncer les violences qu’ils subissent. J’appelle les pouvoirs publics à créer un nouvel Observatoire national des violences en milieu de santé dédié aux étudiants en professions de santé victimes de violences de la part de leur hiérarchie, et à nommer un médiateur dans chaque établissement de soins pour accueillir les étudiants victimes et défendre leurs droits.

Entre 1 et 40% des étudiants en médecine sont confrontés personnellement à des pressions psychologiques, 50% d’entre eux à des propos sexistes, 9% à des violences physiques et 4% à du harcèlement sexuel durant leurs études.
Les violences faites aux femmes : enquête nationale auprès des étudiants en médecine. Thèse de doctorat en médecine générale. Valérie Auslender. Septembre 2015

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