La glottophobie: un mal français?

La Glottophobie, ça vous dit quelque chose ?

La glottophobie désigne une forme de discrimination liée à la langue, à la façon de parler et d’écrire. Cette forme de discrimination très commune et très banalisée est peu connue du public tant elle est difficile à comprendre et à cibler en tant que tel. Afin de mieux comprendre ce phénomène, Guillaume Pannetier et moi-même avons posé nos questions à Maria Candea, enseignante-chercheuse à l’Université Sorbonne Nouvelle, membre du comité de rédaction de GLAD ! et co-fondatrice du réseau de recherche Accents, discriminations et idéologies, afin de nous éclairer sur le sujet.

La glottophobie, est-elle un phénomène typiquement français ou est-ce fréquent dans d’autres sociétés ?

 » Le phénomène n’est pas typiquement français, mais il n’est pas non plus présent dans tous les pays. La glottophobie, c’est le rejet des gens en raison de leurs pratiques langagières, ce rejet dépend beaucoup des langues. Donc oui, elle existe dans d’autres sociétés, mais la glottophobie telle qu’on la définit en France est spécifique à la France. Vous trouverez des cas de comportements glottophobiques dans d’autres pays où le français n’est pas impliqué, car ce phénomène est lié à l’organisation sociale et politique d’un Etat. »

Pensez-vous qu’en France, la glottophobie est institutionnalisée ?

« Bien-sûr, il y a pleins de métiers en France, comme le théâtre ou le journalisme, où l’on vous demande de prendre des cours de diction pour « corriger » votre façon de parler. Souvent, ce sont les accents (régionaux ou autres) qui sont visés. En France, il n’y a qu’un seul journaliste ayant un ancrage régional, c’est Jean-Michel Apathie et c’est parce qu’il est d’abord passé par la presse écrite avant de s’imposer dans le reste des supports journalistiques. Sinon, c’est impossible, les ancrages régionaux sont rejetés d’office et tout le monde l’accepte. Il y a aussi des centaines de milliers de gens qui parlent des langues étrangères et qui ne peuvent passer le CAPES, c’est donc un problème idéologique qui découle de décisions purement politiques. »

Les parisiens sont-ils plus « glottophobes » que le reste de la France ?

 » Ce n’est pas évident de répondre à cette question, car on ne se rend pas compte de la variété d’accents qu’on peut avoir. Les autres régions ont aussi intégré la norme parisienne à force d’enseignements centralisés, en oubliant qu’on peut avoir une langue commune tout en préservant les spécificités de la sienne (des patois par exemple). »

Peut-on dire que le fait de privilégier le français parisien est un choix élitiste ?

« Au moment de la Révolution Française, il s’agissait de donner une langue commune à la France. Les langues régionales étaient souvent liées à la contre-révolution et à la religion, c’est pourquoi la République a souhaité les bannir. Il y a également une hiérarchie des langues -présente dans tous les pays – on considère que certaines langues ont plus de valeurs que d’autres. Par exemple, les enfants qui parlent berbère ou lingala chez eux sont considérés comme moins favorisés sur le plan scolaire. Par contre, un enfant qui parle anglais sera considéré comme favorisé sur le même plan. C’est également pour cette raison que certaines langues disparaissent, car on s’est accordé pour dire qu’elles n’ont aucune valeur. »

Si la glottophobie est une discrimination assez répandue même si nous n’en avons pas conscience, comment peut-on lutter contre ?

« C’est au cas par cas, soit on accepte la discrimination et on contribue à l’oppression avec une forte probabilité que cela impacte la bonne transmission d’une langue, soit on y résiste et on s’organise politiquement afin de faire accepter la différence au groupe majoritaire par un rapport de force. Si les gens acceptent l’idée que leur pratique est inférieure, ils ne vont pas s’organiser et vont penser que c’est de leur faute, ce qui donne une société qui n’est pas épanouissante, car on met les gens dans des situations invivables. On ne les aide pas à s’en sortir scolairement, ce qui donne une société humiliante. »

Donc pour vous l’une des principales réponses qui pourrait être donnée à la glottophobie c’est le système scolaire ?

« Oui, le système scolaire et les médias. Ouvrir les médias à la variété, ça ferait sensiblement changer les choses et les personnes s’habitueraient aux différents accents. Il faudrait aussi prendre conscience qu’une personne peut être bilingue ou trilingue sans que ce ne soit une menace pour la nation. Cela aiderait beaucoup d’enfants bilingues ou trilingues, qui se diraient qu’on peut maîtriser plusieurs langues et avoir d’excellents résultats à l’école. »

Les variations sont-elles obligatoires dans toutes les langues ?

« La langue est constamment en mouvement et l’orthographe ne résulte que des décisions choisies de l’homme. Il y a toujours eu et il y aura toujours des tensions, à partir du moment où l’on accepte plusieurs formes possibles. A un moment donné, si on laisse un peu plus de liberté, l’une des variantes va s’imposer naturellement. Celle qui sera la plus utilisée et donc, mieux comprise. Pour un mot, il n’existe pas 10.000 variantes. Il va y en avoir deux-trois au maximum en concurrence et toutes ces différentes propositions seront comprises.

Néanmoins, la question que l’on est en droit de se poser c’est : « qui va décider à un moment donné quelle est la variante correcte ? ». Il faudrait réformer l’orthographe plus souvent pour qu’une variante fortement utilisée l’emporte sans stigmatisation.

Prenons un exemple concret : le terme de glottophobie est une invention récente qui permet de décrire plus précisément le phénomène de « discrimination linguistique ». Du coup, elle s’apparente plus facilement aux autres discriminations et est largement adoptée. Quant à la question de savoir pourquoi le mot n’est pas dans le dictionnaire, là encore, c’est logique ! Les gens s’offusquent et ne comprennent pas lorsqu’on utilise un mot qui n’est pas dans le dictionnaire, mais pour qu’un mot y soit, il faut d’abord l’employer.

Pour en revenir aux discriminations, nous avons demandé à une personne spécialisée en droit de définir la discrimination. Pour elle, cela se manifeste de deux manières ; directes ou indirectes et sur des critères subjectifs tels que la couleur de peau, le physique etc. Est-ce que la langue peut être prise en compte au même niveau et pourquoi n’est-ce pas déjà le cas ?

Il est très difficile de prouver la discrimination sur la langue sauf lorsqu’elle est institutionnelle. Sur ce cas très précis, on peut mettre le doigt dessus et dénoncer un acte discriminant, sinon, il faut vraiment qu’il y ait des traces explicites. La plupart du temps, les individus discriminés ne le sont pas que sur un seul point, donc ils vont sur-compenser en adoptant des pratiques langagières ultra sophistiquées afin d’éviter d’être stéréotypés « banlieusard », « catégorie populaire »… C’est très difficile d’isoler le rejet de quelqu’un seulement sur sa façon de parler par rapport à d’autres critères (plus visibles). »

En France, il n’y a aucune réponse judiciaire à cette discrimination : pourquoi ? Est-ce envisageable de le faire à l’avenir ?

« C’est plus que ça, les français l’acceptent en partie à cause de cette idéologie enseignée depuis de nombreuses années. Une loi peut faire connaître la chose, mais la justice n’est pas toujours la solution. Il faudrait travailler les mentalités en faisant accepter ces différences. La France est multilingue, c’est important de le rappeler. En Allemagne, il existe de nombreuses pratiques langagières différentes et la communication n’est pas aussi compliquée que chez nous. Idem pour la Belgique, le Luxembourg et on pourrait en citer encore des dizaines. »

Qu’est-ce qui a bien pu nous faire prendre conscience que l’on avait affaire à une discrimination ?

« Les sociolinguistes. Ce sont eux qui ont vraiment tourné le débat sur la France et non sur des contrées lointaines qui ne sont pas forcément comparables. C’est toujours plus facile de regarder chez le voisin, mais lorsqu’il s’agit de se l’appliquer à soi, c’est plus difficile. »

Un grand merci à Maria Candea d’avoir accepté de répondre à nos questions.

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