Noir.e.s et Arabes, regardons en face le retour de l’esclavage en Libye

Ca fait maintenant une dizaine de jour que la pratique de l’esclavage en Libye a éclaté au grand jour (d’après nous). Une mobilisation s’est mise en place. Samedi après-midi, 3 rassemblements différents auraient eu lieu rien que dans la capitale française. Cela ne veut pas dire que trois fois plus de personne se sont déplacées. C’est plutôt que les mouvements sont divisés quant à l’interprétation à donner de ce qui se passe en Libye.

Avec ma cousine, nous sommes parties pleines de détermination aux Invalides rejoindre la BAN (brigade anti negrophobie). C’était l’unique RDV dont j’avais entendu parler sous cette invitation : “Peut-on condamner la Libye sans interroger le rôle de la France dans ce processus de déshumanisation ?”. Au regard de l’intitulé du débat, j’ai eu des doutes. Allait-on encore occulter les véritables sources du problème ? Comme c’était sensé être un débat, j’y suis allée… Peu d’arabes étaient présent en solidarité et aucune organisation ne les représentaient. Les noir.e.s qui entonnaient des slogans étaient bien seuls, à faire du zèle. Surement que les arabes étaient aux autres rassemblements… Le seul discours prononcé se résume en un slogan : “La Libye esclavagiste ? la France ordonne !”

Même pour les Libyen.ne.s c’est irrespectueux. Les Libyen.ne.s seraient donc téléguidé.e.s ? Iels seraient des “marionnettes” (comme ils ont dit) contraintes d’exploiter, traiter, tuer, violer, rançonner, torturer des migrant.e.s par negrophobie de procuration des blanc.he.s français.e.s ? Assez ! Sarkozy a éliminé un dirigeant un peu trop dérangeant pour ses intérêts et ceux de l’Etat français, certes. Cela a permis d’aboutir à l’instabilité de ce territoire, pour le plus grand bonheur des services français, certes.

Cependant et quant au dédouanement des Libyen.ne.s de toute negrophobie systémique pouvant expliquer le recours à l’esclavage des migrant.e.s… D’abord, le procédé de rançonnement des familles de migrant.e.s est exactement calqué sur le mode opératoire des tortionnaires du Sinaï : torture à mort et chantage aux familles d’Erythréen.ne.s pour leur extirper de l’argent.

Par ailleurs, j’ai un scoop ! Les mises en esclavage ne datent pas de 2011. Si l’esclavage dans son expression la plus brutale devait trouver son explication dans l’époque récente, en 2008 des accords ont été signés par la Libye et l’Italie faisant de cette première un rempart à l’immigration africaine… La Libye aurait accepté cette tâche ingrate et non sans risque en échange de quelques milliards d’Euros en guise de réparation de la colonisation.  Si cela est vrai, ce serait ni plus ni moins qu’une réparation d’un crime au prix d’un autre: le sacrifice des Subsaharien.ne.s et Sahelien.ne.s particulièrement.

Prenons de la distance par rapport aux préoccupations des pays de l’Union européenne: cet esclavage n’est malheureusement pas nouveau. Et cela, comment continuer de l’ignorer ? Va-t-on encore longtem

ps fermer les yeux sur un système qui a décimé des populations et des civilisations entières ? Vous l’aurez compris, c’est de la traite négrière arabo-musulmane dont je parle. Brièvement, celle-ci a débuté au 7ème siècle et aurait pris fin dans les années 1960. Notamment en Arabie Saoudite des accords furent signés en 1962 pour officiellement mettre fin à la vente d’esclave… C’est un secret de polichinelle aujourd’hui que ces accords étaient uniquement de la communication politique, l’année des accords d’Evian et la fin de la guerre d’Algérie.

Si on replace les choses dans leur contexte, encore au XXème siècle, des hommes et des femmes ont été vendu.e.s sur des “marchés aux esclaves” parce qu’iels étaient noir.e.s. Bien après 1848 et l’abolition de l’esclavage dans l’empire français, iels étaient marchandisé.e.s. Considéré.e.s encore et toujours tel.le.s des quantités négligeables comme les êtres diaboliques, inférieur.e.s, à la frontière entre l’animal et l’espèce humain.e et qui serait uniquement bon à être exploité.e.s ou tué.e.s s’iels ne se soumettent pas. Cette représentation date de 1400 ans et a causé 17millions de mort.e.s. Ce nombre est minimisé puisqu’avec la castration d’une grande partie des hommes, la pérennité des populations s’est vue entravée voir condamnée pour certains groupes. Tentons de nous représenter l’ancrage profond que cela a pu engendrer dans l’imaginaire et la mémoire collectif.ve.s des esclavagistes. Deux générations précédentes, on pouvait assister à la vente de noir.e.s. La transition pour changer cette représentation millénaire prendra du temps. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce  retour à la vente des migrant.e.s noir.e.s indiquent à quel point l’association entre noir.e.s et esclaves est rapide en Libye mais pas que…

Dans le contexte d’instabilité de la zone du Sahel mais également de la Libye, les populations noires qui tentent d’émigrer se retrouvent  prises au piège en Libye. Là où bon nombre d’habitant.e.s possèdent une représentation biaisée de l’humanité dans laquelle les noir.e.s n’entrent pas, je ne suis pas surprise de la tournure qu’ont prit les choses en Libye. Dénoncer la negrophobie systémique sur laquelle s’appuient ces actes semble urgent.

Les noir.e.s qui sont en France doivent comprendre qu’iels n’aboutiront pas à la justice vis-à-vis du racisme systémique de la France à l’intérieur et à l’extérieur (dans ses “anciennes” colonies) tant que les concerné.e.s ne confronteront pas leur autre bourreau : les pays arabes. Eux qui ont déporté, mis en esclavage, épuré ethniquement par la castration, massacré des générations et des générations de noir.e.s dans le Moyen-Orient et le Maghreb ont une histoire qui rivalise dans l’horreur avec les Européen.ne.s.

Cessons de mépriser nos frères et sœurs noir.e.s qui connaissent des moments tragiques y compris en raison de notre déni complice. Cessons de récupérer leur souffrance pour attirer l’attention sur notre condition ici en France. (Comme je l’ai vu lors du rassemblement de la BAN). Cessons de considérer les problèmes qu’iels rencontrent avec autocentrisme. On ne va tout de même pas à notre tour adopter une perception condescendante et des rapports asymétriques avec les nôtres sur le continent africain.

Aussi, à ceux et celles qui crient de par et d’autre à la division face à l’oppresseur blanc français. Si toutefois cette division devait se réaliser, ce ne serait pas du fait des noir.e.s et de leurs allié.e.s mais bien des arabes qui auraient refusé de voir et de reconnaître la negrophobie systémique  des sociétés arabes et de leurs diasporas ainsi que la longue histoire qui l’accompagne. Une séparation des luttes est redoutée de toutes et tous et probablement surtout des noir.e.s. Mais à un moment donné, on ne pourra plus continuer à contester, demander des réparations à l’oppresseur blanc tout en fermant les yeux sur l’oppresseur arabe. Il ne s’agit pas de dire que ces deux racismes sont les mêmes. Simplement les deux oppriment les noir.e.s. Alors, sortez de votre déni (que vous soyez arabe ou noir.e) et surtout cessez donc de silencier ceux et surtout celles (plus nombreuses autour de moi en tout cas) qui sont clairvoyant.e.s sur la situation actuelle.

Enfin, et là je m’adresse aux blanc.he.s de France. Cessez de saisir cette actualité comme une brèche dans laquelle vous engouffrer pour accabler les Arabes de tous les maux dont souffrent et ont souffert les noir.e.s tout en vous déresponsabilisant simultanément. Nous n’oublions pas qui nous a déporté aux quatre coins du globe, qui nous a exploité et nous exploite partout et surtout dans les pays où vous êtes venus nous chercher. Nous n’oublions pas non plus combien vous avez défiguré la face du monde pour développer le capitalisme et l’exploitation de la planète pour vous enrichir au détriment du reste du monde. Et nous vous voyons déstabiliser des régions pour faire marcher vos affaires. Cessez cette récupération indécente et de tenter de nous diviser. Nous vous voyons. Face au colonialisme français, face aux crimes qu’elle a commis et face à son racisme d’Etat, il n’y a pas de noir.e, d’arabe, de juif.ve, d’asiatique, d’Indien.ne. Il n’y a que des racisé.e.s.

Pour un antiracisme ambitieux et cohérent, pour mieux reconstruire l’harmonie et la paix, regardons l’histoire en face.

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