Samantha M. Estrella : la photographie, entre métier et passion

J’ai rencontré Samantha, photographe autrefois amateure, aujourd’hui professionnelle.

Quel est son parcours ? Qu’est-ce que c’est qu’être photographe ? Quelle est sa vision de la photographie ? 

A vous de le découvrir avec ce rapide portrait.


« Salut Samantha !

Pour commencer, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?

J’habite à Maisons-Alfort (94) et je travaille en ce moment chez Showroom Privé, où je fais des photographies de « packshots » de plus ou moins grandes marques. A côté de ça, j’ai mon statut d’auteur indépendant : je travaille sur des projets photo personnels, des séries artistiques ou bien des commandes pour des privés qui m’aident à arrondir mes fins de mois.


Depuis quand t’intéresses tu à la photographie ?

Je ne savais pas vraiment quoi faire après le Bac, j’hésitais entre devenir musicienne, soigneur animalier au zoo ou bien faire de la photographie – sans trop savoir à quoi m’attendre.

J’ai visité plusieurs écoles dont MJM Graphic Design où j’ai pu y passer une journée de découverte. Je me suis retrouvée en laboratoire argentique, dans une chambre noire humide et plein de petites lumières rouges, avec des gens qui plongeaient des papiers blancs dans des bacs et qui les ressortaient avec une image imprimée dessus : c’est là que je me suis dit « OK. Je veux faire ça ! » (rires) Il y avait vraiment un côté magique. Tu fais ta photo avec ton appareil ensuite tu la développe dans cet endroit tellement atypique, tu la tires, tu fais tout toi même : ça devient vraiment ton bébé ! Et puis il y a un côté très scientifique aussi, il faut réellement comprendre comment fonctionne la lumière et toutes ces histoires de dilution dans les différents bacs remplis de tout plein de produits chimiques : c’est tout cet univers qui m’a attiré aussi, en plus du côté esthétique du rendu final.


Donc tu as fait une école de photo ?

Oui je suis allée à l’école MJM Graphic Design parce que c’était la seule qui proposait une alternance, et les frais sont tellement élevés que je n’avais pas vraiment le choix.

L’école dure 3 ans en principe et coûte 7 000 euros l’année. J’ai fait la première année en cursus normal et les deux dernières en alternance.

C’est clairement une pompe à fric, comme la plupart des écoles privées, mais j’ai appris énormément de choses. Je dirais que je connais presque tout techniquement. Ils m’ont apporté une vraie base, notamment en argentique, qui, il me semble, est assez peu étudié dans les écoles de photo aujourd’hui. Je pense que la plupart des gens qui font de l’argentique comprennent beaucoup mieux la lumière et je faisais partie de la dernière promo de l’école à étudier l’argentique, après ils sont passés au numérique… Ça va vraiment vite.

Source: http://samestrellamartinez.com

Tu as eu plusieurs expériences dans différents studios, et aujourd’hui tu te retrouves à Showroom privé : quel genre de photo est-ce que tu réalises essentiellement ?

C’est du packshot. C’est essentiellement de la photo de produit et il y a beaucoup de vêtements du coup ça devient vite de la « photo de mode », en ambiance, parce que tu as toute une équipe déco/styliste et make-up derrière. Moi je suis surtout dans l’équipe bijoux/cosmétique et c’est très intéressant parce que c’est assez technique. Certaines personnes aiment bien « abattre » le produit mais moi j’essaie de travailler la lumière malgré tout. Il y en a aussi beaucoup qui réalisent de plus ou moins belles photos en fonction de la marque et ça, je me suis interdite de le faire. Je ne peux pas rendre une photo non-finie, même si c’est une marque qui ne vaut rien. Et souvent on vient me voir pour me dire « mais arrête Sam, tu te prends la tête, ils vont vendre ça 3euros ! » mais je ne peux pas rendre une photo dont je ne suis pas satisfaite, quelque soit sa destination.


Est-ce que c’était le genre de photo vers lequel tu pensais te diriger quand tu as commencé la photo ?

Honnêtement aujourd’hui la photo paie principalement dans ce milieu là, donc non, ce n’était pas vraiment un choix personnel mais j’ai besoin d’argent et je savais que j’allais trouver du travail dans ce domaine. Malgré tout, j’y trouve mon intérêt, notamment dans le travail de la lumière, comme je le disais, qui m’intéresse vraiment beaucoup.


Parle-moi de tes projets personnels

Il y a des périodes où j’ai du mal à me focaliser sur mes projets persos. Quand tu travailles dans un tel environnement photographique tous les jours, tu peux facilement être satisfait artistiquement aussi, parce qu’on fait également de la créa.

Comme je te disais, je n’aime pas « abattre la photo » comme certains le font, j’insère toujours une touche de « créa » dans mes rendus. Mais c’est là qu’est le risque quand tu fais de la photo ton métier, il y a beaucoup de gens qui se complaisent là dedans alors qu’à la base quand tu fais une école de photo à 7000 euros, tu ne compte pas finir dans une entreprise comme ça où tu fais des photos dans le rush (on fait généralement 150 produits dans la journée) et où si c’est moche, c’est pas grave. C’est pour ça que c’est important de faire des photos à côté parce que tu peux vite te satisfaire de ce petit côté créa que tu as réussi à trouver dans ton job alors qu’au fond tu n’es pas du tout libre. Pour te dire, aujourd’hui on est environ 3 sur 15 à faire de la photo à côté alors qu’à l’origine, on en fait tous pour notre plaisir. C’est vrai que c’est frustrant parce que tu penses que les photos que tu prends pour Showroom sont tes images alors que ce n’est pas le cas. Il faut faire la part des choses, il y a le boulot et le perso.

Pour ce qui est de mes projets personnels, depuis un petit moment (2 ans), je m’occupe d’un SDF de 65 ans que j’ai rencontré dans le métro, il s’appelle Belkacem. J’essaie de l’aider tant bien que mal à faire marcher les aides sociales auxquelles il a le droit mais ce n’est vraiment pas facile tous les jours… Pour l’instant je m’occupe de lui et je fais quelques photos quand je le vois mais je ne sais pas ce que j’en ferais par la suite. J’imagine que j’écrirai son histoire que j’associerai avec les images.

Je vais aussi participer à une exposition collective au Café de la Presse à Paris en mars, où j’ai hâte de montrer l’une de mes séries photo mais c’est très difficile pour moi de faire un choix sur quoi montrer ! Enfin je travaille souvent en collaboration avec la chanteuse Emji, que j’ai suivi dès ses premiers solos dans le métro parisien, aujourd’hui gagnante de la Nouvelle Star 2015. J’ai récemment fait la couverture de Féminin Santé avec une série d’elle.

Source: http://samestrellamartinez.com

Ressens-tu une certaine concurrence, notamment quand on voit la hausse du nombre de photographes amateurs ? Est-ce que tu as l’impression que le métier de photographe est en danger ?

Oui le métier de photographe est en danger. L’Iphone (par exemple) : énorme concurrent.

Je l’ai nié pendant longtemps mais je ne peux plus aujourd’hui : ils ont développé une résolution incroyable. Ils l’ont prouvé : ils ont exposé des grandes affiches à Gare du Nord, les photos sont hyper nettes, il n’y a pas un pixel, et elles ont été faites avec des Iphone !

Mais on ne se laisse pas avoir, certains photographes très reconnus ont shooté pour des gros magazines avec des Iphone pour montrer qu’il n’y a pas que la résolution qui compte, que le travail de la lumière, le contact avec le modèle, la compo etc font partie d’un métier à part entière.

Tous ces nouveaux appareils numériques c’est sympa, mais ça dévalorise aussi notre métier d’une certaine façon…

Qui a été ton modèle ? Ton mentor en photographie ?

Celui qui m’a aidé à mettre un premier pied dans la photographie, celui qui a cru en moi et qui m’a invité très rapidement sur ses shoots pour que je vois ce que c’est quand j’étais encore à l’école : c’est Franck Gomez. Il est plutôt commercial, il fait des mariages, des musiciens, des clips vidéos aussi, plein de choses. J’aime beaucoup son boulot mais ce n’est pas le genre de photos auxquelles je suis la plus sensible. C’est plutôt la personne qui m’a boosté je dirais.

Pour ce qui est de mon mentor artistique, je pense que ce serait Laurent Hini, que j’ai rencontré au premier studio où j’étais. C’est lui qui m’a appris à travailler la lumière et qui m’a fait comprendre beaucoup de choses, notamment le fait de travailler au feeling avec nos outils.

Peux-tu parler d’un certain élément déclencheur qui aurait boosté tes projets photo ou même – je me permets – ta carrière de photographe ? En dehors des personnes que tu m’as cité, est-ce qu’il y aurait un moment particulier, une expérience concrète dans ta vie qui aurait fait que tu te sois dit « Ok, la photographie, c’est mon truc, je veux en faire tous les jours, je vais en faire ma passion et mon métier » ?

Je ne saurais pas dire laquelle exactement, mais je dirais principalement quand je travaillais au Studio Deux Choses Lune, c’est un studio de location, ce qui fait qu’il y avait des productions différentes tous les jours. J’y ai vu, en l’espace d’un an, presque tout ce qui était possible de faire en photo et j’ai rencontré des artistes incroyables – le milieu lui, il est ce qu’il est. Ces gens m’ont tellement inspiré. Et je me suis dit que ce n’était vraiment pas pour la gloire que je voulais faire de la photographie en faisant des cover de magazines ou autre, mais réellement pour la fierté d’avoir réalisé une image, non pas toute seule mais grâce au projet collectif que représente une photo aboutie.

J’y ai rencontré un assistant photographe, que je surnommais Momo. Il a vraiment cru en moi, il me montrait tous les jours les productions d’un photographe différent pour m’inspirer. Tous ces photographes dont il me parlait et tous ceux que je voyais défiler au Studio Deux Choses Lune ont été des inspirations majeurs pour mes projets à moi.

Source: http://samestrellamartinez.com

Qu’est-ce qu’apporte selon toi le regard d’un photographe et l’art photographique au monde contemporain ? Qu’est-ce que la photo peut changer – ou pas – dans le monde ?

J’ai deux réponses.

Faire des photos est un plaisir pour les photographes : c’est montrer des belles images et créer des choses personnelles qui ont un sens pour l’auteur et que seuls eux peuvent créer finalement.

Et aussi, oui, moi je pense que l’art peut révolutionner le monde. La photo permet de faire comprendre le monde, c’est un média comme un autre. Mais la photo sera plus directe dans ce qu’elle dit.

C’est un instant fixé qui a été choisi et il permet au spectateur de s’imaginer ce moment, de se le retranscrire dans son esprit. Et s’imaginer c’est souvent pire que de voir les choses en vrai.

Par exemple il y a une photographe incroyable des années 1960, Diane Arbus, qui a pris en photo des handicapés mentaux – sujet encore très tabou à l’époque. Et grâce à ses photos, moi je pense qu’elle a révolutionné quelque chose. Elle a montré aux gens ce qu’ils ne voulaient pas voir. La photo va briser un tabou car elle va figer un instant sur lequel on devra s’arrêter.

La photographie a longtemps été considérée comme un simple objet scientifique de preuve, neutre, totalement objectif. Qu’en penses-tu ? Quand on regarde tes photographies personnelles, on sent bien qu’il y a un regard subjectif de ta part. Est-ce que tu penses qu’une photographie neutre est possible ?

Oui elle peut être neutre, comme la photographie commerciale par exemple.

A côté de ça, il y a des gens qui n’arrivent pas à ce que la photo soit autrement que subjective.

Certains artistes, comme n’importe quel artiste utilisant n’importe quel médium, utilisent leur art pour en faire l’objet de leurs projections personnelles, jusqu’à ce que cela devienne parfois insupportable pour eux, mais à la fois soulageant.

Moi j’y mets mon cœur tout autant, mais je sais que je n’ai pas besoin que de ça pour m’exprimer, et je ne passe pas forcément que par la photographie pour me libérer.

Quels sont tes photographes préférés ?

Hm… Je dirais Le Turk, parce que c’est un artiste complet. Il est parti de rien, il n’a fait aucune école d’art. Il a appris à dessiner tout seul, puis il a commencé à prendre ses dessins en photo. Il a ensuite monter des décors entiers avec lesquels il réalise maintenant des photos artistiques. Il va au bout de ses idées et c’est compliqué pour un artiste. Moi je sais que c’est ce qui me fait défaut, j’ai une idée mais je peux vite changer d’avis, je me laisse un peu submerger et les gens m’inspirent constamment du coup mes projets sont en évolution permanente jusqu’au moment où il faut les fixer pour de bon.

Il y a aussi Sebastiao Salgado que j’aime beaucoup, mais il est dans une démarche très différente. Il m’inspire beaucoup, humainement parlant surtout. Il utilise sa photo pour faire de l’humanitaire et pour montrer des choses réelles aux gens.


Pour illustrer mon article, je voulais montrer aux lecteurs tes meilleurs shots : quels sont-ils selon toi ? Quelles sont tes photos préférées ? Celles dont tu es la plus fière ?

Olala je ne sais pas. Je ne suis jamais satisfaite d’une photo. Je peux vous en montrer 3 qui montrent un peu un aperçu de mon univers. Mais j’ai encore tellement à apprendre…

Merci à toi Sam et bonne continuation !

On se croise au Café de la presse en mars ! » (je vous communiquerai la date exacte de l’expo)


Je vous laisse découvrir Sam et son univers avec son site web et sa page Facebook.

Emma Dumartheray
Emma Dumartheray
Journaliste aux fines herbes Passionnée d'art & société, humour & papillons

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