TENUE CORRECTE EXIGEE! [1/2] : l’exposition du scandale

Tenue correcte exigée, quand le vêtement fait scandale est l’exposition en cours du musée des Arts Décoratifs de Paris. Ouverte le 1er décembre 2016 jusqu’au 23 avril 2017, l’exposition nous montre la pérennité des règles vestimentaires et leurs diversité, comment notre vestiaire a évolué au gré des transgressions et comment des vêtements jugés scandaleux sont devenus des basiques.20161206_132720

D’abord interdit aux femmes par une loi abrogée seulement en 2013, le pantalon est aujourd’hui le basique du vestiaire. C’est un exemple parmi tant d’autres. Certaines pièces d’abord jugées scandaleuses sont aujourd’hui jugées tout à fait acceptables. La norme n’est donc ni fixe ni unique. Une même chose peut être choquante pour l’un, évidente pour l’autre.

Dans le monde occidental, le vêtement est normé par la société judéo-chrétienne, se basant sur la Bible. L’Homme est l’oeuvre de Dieu et l’altérer est un péché. Le vêtement ne doit donc en aucun cas le déformer, juste le couvrir. Il doit également différencier l’homme de la femme, selon le Deutéronome, 22.5:

«Une femme ne portera point un habillement d’homme, et un homme ne mettra point des vêtements de femme; car quiconque fait ces choses est en abomination à l’Éternel, ton Dieu».

Il est aussi le reflet du péché. Comme le dit Michel Pastoureau*, «(…) Il rappelle la faute originelle commise par Adam et Ève et leur expulsion du Paradis terrestre. Au jardin d’Éden, ils vivaient nus, entourés de merveilles, menant une vie faite de délices. (…) Chassés du Paradis, condamnés à une vie de labeur, ils ont reçu au moment de leur expulsion un vêtement pour cacher leur nudité. Ce vêtement rappelle à tout jamais leur faute : il est le symbole même de la Chute de l’humanité».

Mais au fil des siècles, la norme n’a pas été uniquement régit par les fondements de la Bible. Les édits somptuaires, les lois… La règle vestimentaire a toujours été aussi une affaire politique.

Dans l’exposition présentée au musée des Arts Décoratifs à Paris, le sujet est traité du Moyen Âge à de nos jours dans le monde occidental, cadre posé dès le départ (bonne chose car ce n’est pas le cas pour toutes les expositions).

Le scandale vestimentaire est traité en trois grandes thématiques, reprenant les idées mentionnées plus haut: le vêtement et la règle, la transgression selon le sexe: est-ce un homme ou une femme? et enfin, les excès en tout genre dans une dernière partie, la provocation des excès.

Un couloir de miroirs accueille le visiteur avec des réflexions diffusées en continu sur l’apparence : « sac à patates », « non mais tu as vu comme tu es habillé? », incitant à la réflexion sur sa propre tenue vestimentaire et son apparence.

L’exposition est agréable, offrant une grande variété de sources et de supports. Outre les vêtements, il y a de nombreuses photos, vidéos, sources écrites, montrant l’importance du vêtement dans nos quotidiens.

Gravure, peinture et photo côtoient des pièces de toutes les époques.             20161206_131358Sortant du schéma classique du découpage chronologique, l’exposition nous montre via une scénographie bien pensée rappelant les moodboards (ou planches de tendance)  que malgré les décennies ou les siècles qui passent, les mêmes critiques sont faites et selon les mêmes critères.  Les vitrines sont donc comme des collages où vêtements côtoient photos, vidéos, peinture, etc.

Le petit plus de l’exposition: le visiteur devient joueur à mi-parcours pour un petit questionnaire sur le dresscode pour en apprendre un peu plus sur les usages à travers les siècles.

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L’exposition nous rappelle donc que bons nombres des pièces que nous portons  quotidiennement ont été l’objet de scandales et le symbole de révolutions.

Le jean en est un exemple.

Plus de 2 milliards sont vendus dans le monde chaque année. Il est porté par toutes les couches de la population, tous les âges et dans tous les recoins du monde.

Néanmoins, ça n’a pas été toujours le cas. Au départ, le jean est un vêtement d’ouvrier, porté par les mineurs en quête d’or.  Dans les années 1850, le jeune Levi Strauss, jeune bavarois installé en Nouvelle Angleterre, en Amérique du Nord conçoit des pantalons et salopettes à partir de la toile des tentes, rigide et solide, la toile de Gênes. Avec la déformation de la langue, cette toile de Gênes aurait donné le nom au jean. Ensuite est utilisée la toile de Nîmes, toile sergée encore plus solide qui donne son nom au denim (et là se fait la connexion dans le cerveau, aaaaah ouiiiiii d’accoooooord).

 Progressivement, le jean devient un vêtement de loisirs. Portés dans les ranch par les cowboys et fermiers, des hommes donc, il se porte par les hommes qui vont à la campagne en vacances et bien plus rarement par les femmes car à l’aube des années 1930/40, le pantalon est encore très marginal.

C’est dans les années 1950 que le jean devient une pièce populaire, porté par la jeunesse. Les enfants du babyboom ne cautionnent plus les valeurs de leurs parents et expriment leur rébellion notamment à travers le vêtement mais aussi avec la musique rock’n’roll. Dans les années 1960, avec en France les manifestations de mai 68, le jean et le t-shirt, qui est aussi une pièce avec son scandale, sont l’uniforme du jeune contestataire, mais aussi de la jeune contestatrice. Car le jean est la pièce qui permet à la femme d’intégrer le pantalon à son vestiaire. Aujourd’hui, le jean se porte en toutes circonstances. Confortable, pratique, il peut aussi composer une tenue élégante.


Si l’on regarde l’évolution et le cheminement de notre garde-robe, ces caractéristiques sont parmi les plus importantes. Confort, praticité, cela répond aux besoins de notre société où il est nécessaire d’être efficace, rapide et dynamique. D’où le succès du normcore, esthétique qui met en avant la sobriété, que ce soit dans la coupe, les couleurs et les marques et le développement du streetwear, une garde-robe sport adaptée à la rue.

Et comment est régie la mode? La loi a toujours son mot à dire, ne serait-ce que dans les contrats de travail pouvant comporter un code vestimentaire. Chaque employé est un ambassadeur de l’entreprise pour laquelle il travaille et se doit d’en être représentatif. Le non-respect de ce code peut entraîner des litiges et même des licenciements.

C’est le cas de Nicola Thorpe, jeune londonienne qui travaillait pour une société de financement, licenciée pour avoir refusé le port de talons alors que le code vestimentaire stipulait obligatoire « le port de talons de 5 à 10cm ». Suite à cet incident, Nicola Thorpe a lancé une pétition pour rendre illégal l’obligation du port des talons dans le cadre du travail pour les femmes. Cette pétition, maintenant close, a porté ses fruits et le sujet va être débattu au parlement anglais en mars 2017.

Il y a également les lois sur la dissimulation du visage, le port du voile, d’insignes religieux qui touchent à l’habillement. Dernier scandale en date, le burkini qui a déchaîné les passions l’été 2016 mais qui a soulevé un débat intéressant: se doit-on d’être dénudé à la plage? Car le problème est que des femmes, certes portant un voile mais habillées de simples t-shirts à manches longues ou blouses larges et pantalons fluides ont été pointées du doigt, parfois demandées à quitter la plage ou à enlever certaines de leurs épaisseurs.

Tous ces incidents montrent que nous ne sommes pas tout à fait libre dans notre habillement et que l’habillement n’est pas considéré comme une liberté fondamentale.

Aujourd’hui, la presse spécialisée et les blogs sont nos nouveaux traités d’élégance et guides pour savoir comment s’habiller. Les magazines dictent la tendance, montrent quelles tenues porter, quand et où les acheter. En France, notre grande gourou est Cristina Cordula (ma chiriiiiiiiie). Elle domine les audiences, notamment chez les ménagères (plus de 20% en février 2017). Très populaire avec ses émissions de relooking et son émission « Les Reines du shopping« , elle est devenue une icône de la culture populaire, avec ses expressions, son accent et ses conseils devenus de véritables lignes directrices pour bon nombre de férus de mode. On peut d’ailleurs la retrouver dans l’exposition (ça, c’est encore pour vous inciter à y aller!).

Mais le vêtement, outre son aspect pratique, est un moyen d’expression. Il permet de montrer son mécontentement, son appartenance à un groupe ou au contraire, un moyen de s’en démarquer. Il a été un outil pour différents mouvements de la jeunesse au XXe siècle: les punks, les hippies, les gothiques et l’est pour beaucoup encore aujourd’hui. Il reflète nos goûts, nos désirs, d’où nous venons et ce que nous sommes.

Alors oui, il ne faut pas se fier aux apparences mais comme dirait le poète anglais Francis Quarles (1592 – 1644):

« le corps est la coquille de l’esprit, l’habit est l’enveloppe de cette coquille et l’enveloppe vous dit souvent qu’elle est la graine ».

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